dimanche 15 mai 2011

LES CHAMPS ELYSEES CONDAMNES A LA MODE ET AU LUXE

lu sur le site du journal Le Monde le 15 mai 2011
5 mai 2011 En baisse
Les Champs-Elysées, condamnés à la mode et au luxe

Jeudi 12 mai, l'enseigne américaine Abercrombie et Fitch célébrait, à sa façon, l'ouverture prochaine de son nouveau magasin de vêtements situé près de la place de l'Etoile, à Paris.
La Mairie de Paris ne parvient pas à maintenir sur l'avenue une diversité des activités commerciales

Les Champs-Elysées bientôt exclusivement un paradis de la mode ? Depuis plusieurs mois, ce phénomène se précise.

Marque américaine fétiche des adolescents, Abercrombie & Fitch y ouvre son premier magasin en France le 19 mai. Sont également programmées les enseignes Banana Republic ou Mark & Spencers, qui doit signer son retour parisien cet automne en lieu et place de la boutique Esprit. Le vendeur de jeans Levi's a, lui, obtenu une extension de son magasin. Le suédois H & M a ouvert en octobre 2010 une gigantesque boutique et Lacoste vient de rénover la sienne. L'espagnol Zara compte en ouvrir rapidement une troisième.

Comment expliquer une telle demande quand le niveau des loyers a fait des Champs-Elysées la cinquième artère la plus onéreuse du monde en 2010 ? Elle a certes été doublée par les plus prestigieuses avenues de Tokyo et de Londres, mais la moyenne du mètre carré loué par an y est de 6 965 euros. Il peut atteindre 10 000 euros en surface pondérée pour les magasins les mieux situés.

Pierre Raynal, responsable des enseignes étrangères au cabinet de conseils Cushman & Wakefield, explique cet engouement : " Cette avenue atypique, où les commerçants sont ouverts le dimanche, draine 300 000 visiteurs par jour ; le quartier génère 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires par an. " Elle compte 110 commerces avec vitrines. La fréquentation est plus importante côté soleil (pair), ce qui explique la décote locative de l'ordre de 30 % du côté impair, à l'ombre. " Les enseignes réalisent sur cette avenue 20 % à 30 % de plus que le chiffre d'affaires de leur deuxième plus grand magasin parisien ", note M. Raynal, persuadé qu'elles ne " surpaient " pas cette adresse.

Philippe Vincent, directeur de la société de conseil Clipperton, avait réalisé une étude pour la Ville de Paris il y a cinq ans. Elle montrait que 39 % des commerces sur " les Champs " étaient loués par des marques de mode. Même s'il n'a pas formellement remis à jour ces données, il estime qu'" on est aujourd'hui près d'un seuil de 50 % ".

C'est la conséquence directe de la loi de modernisation de l'économie (LME), qui a assoupli les règles d'ouvertures commerciales, assure-t-il. La surface qui nécessite une autorisation administrative a été portée de 300 à 1 000 m2. " Cela risque d'apporter une monoculture et de générer un désintérêt des consommateurs ", dit-il.

Dans l'organisation classique des centres commerciaux, il est d'usage de limiter à moins de 40 % les surfaces des magasins de mode - même s'ils sont 1,5 à 2 fois plus rentables que les autres. " Est-ce que l'on peut dire que les Champs-Elysées, symboles de la France - ils sont remontés par chaque nouveau président de la République, accueillent les rassemblements du 31 décembre... - s'apparentent à un centre commercial à ciel ouvert ? ", demande, dubitatif, M. Vincent.

Une adresse extraordinaire

" Cela ne sert à rien de lutter face à la LME ", dit-il, préférant militer pour que chaque nouveau magasin soit " un concept unique ". Au sens où H & M a revu sa copie avant d'arriver sur cette artère en demandant à l'architecte Jean Nouvel de signer non seulement la façade mais tout l'immeuble. Au même titre, reprend-il, que le magasin Louis Vuitton des Champs-Elysées est le seul de cette nature au monde.

Le lent et sûr grignotage de l'avenue par les marchands de vêtements ne fait pas l'unanimité. Edouard Lefebvre, directeur général du Comité des Champs-Elysées, regroupement de 160 commerçants situés sur l'avenue et dans les rues adjacentes, rappelle que les quatre pharmacies du quartier auront du mal à survivre si elles sont obligées, comme l'impose la nouvelle législation, de ne plus ouvrir en soirée qu'à tour de rôle. " Les loyers deviennent trop chers pour certaines activités ", déplore-t-il, en pensant aux cinémas, notamment à ceux qui programment des films d'art et d'essai qui souffrent de la cherté des loyers, comme Le Balzac ou le Lincoln.

" Nous sommes dans un régime ultralibéral et les Champs-Elysées sont une adresse extraordinaire, constate Lyne Cohen-Solal (PS), adjointe au maire de Paris. C'est la loi de la jungle et de l'argent. Il n'y a aucun moyen d'arrêter l'arrivée massive des géants de la mode et de conserver la diversité commerciale de l'avenue. Ce sont les seuls qui peuvent suivre la hausse des loyers. " Elle assure que les grandes enseignes comme H & M ont reçu " un chèque en blanc " pour y planter leur fanion. Ce que les intéressés ne peuvent que démentir.

Au mieux, reprend Mme Cohen-Solal, depuis la mise en place de la LME, nous pouvons différer de trois ou quatre mois leur arrivée grâce à un recours auprès de la commission départementale d'équipement commercial, mais à chaque fois, les autorisations d'implantations sont données par la commission nationale. " Nous aurions aimé demander un classement des salles de cinéma, mais la loi ne le permet pas ", déplore-t-elle.

Vaine tentative pour préserver une exception française ? Sur les plus grandes avenues de cités comme New York, Londres ou Hongkong, on ne trouve pas l'ombre d'un cinéma, mais uniquement, et depuis longtemps, du luxe et du prêt-à-porter.

Nicole Vulser
© Le Monde

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