mardi 17 mai 2011

L'ESPRIT DU COMMERCE EQUITABLE MENACE PAR SA BANALISATION DANS LES MAGASINS;

lu sur le journal électronique Le Monde le 17 mai 2011

L'esprit du commerce équitable menacé par sa banalisation dans les magasins


Depuis le début des années 2000, le commerce équitable a vu sa notoriété s'envoler. La Quinzaine du commerce équitable, lancée samedi 14 mai jusqu'au dimanche 29 mai, fête d'ailleurs sa onzième édition. Mais les acteurs de ce marché sont aujourd'hui confrontés à un défi : comment poursuivre le développement de ce système économique profitant aux petits agriculteurs du Sud, sans trahir ou dévoyer ses principes, son éthique ? Et ce dans un contexte de flambée des cours mondiaux des matières premières agricoles.

Le commerce équitable consiste à acheter à un prix minimum garanti des produits agricoles à des coopératives de petits producteurs. Tout en les aidant à devenir autonomes. Or si ce prix d'achat garanti pouvait être hier supérieur au cours mondiaux, la flambée des prix a changé la donne : aujourd'hui les petits producteurs se voient proposer par des intermédiaires commerciaux d'être payés cash avant récolte et à des prix supérieurs. La tentation est grande pour ces producteurs de succomber à une vente rapide.

" Une centaine de containers représentant 2 000 tonnes de café n'ont pu ainsi être honorés ces derniers mois, ne cache pas Christophe Roturier, directeur délégué France de Max Havelaar, dont le label figure sur plus de 80 % des produits agroalimentaires équitables dans le monde. Le phénomène est loin d'être généralisé. Mais il fragilise les coopératives. Demain, quand les cours se retourneront, les producteurs ayant succombé à cette tentation se retrouveront seuls. "

Max Havelaar a ainsi récemment revu à la hausse le prix minimum garanti du café, et doublé dans cette filière la prime de développement destinée à financer des investissements productifs. Et ce " pour garder le système attractif ".

Renforcer la qualité et la productivité des cultures des petits producteurs est d'autant plus essentiel que le système doit pouvoir répondre à une demande croissante. Depuis cinq à six ans, de plus en plus de marques et de distributeurs cherchent à s'insérer dans cette filière commerciale. Marks & Spencer, Ben & Jerry's, Carrefour, Leclerc, Starbucks... : les exemples sont innombrables

Cette ouverture à la grande distribution et à des géants de l'agro-alimentaire a largement contribué à faire décoller les ventes. Elle a cependant conduit FLO, l'organisme gestionnaire des règles de certification des produits Max Havelaar, à " ajuster " certaines de ses règles de base. En plus des coopératives de petits producteurs, de grandes plantations ont ainsi été insérées dans le système.

" Cette décision a été motivée par la volonté de ne pas laisser sur le bord de la route les salariés agricoles pauvres, explique M. Roturier. Et pour certaines cultures, comme le thé ou la banane, il est difficile de faire du volume avec les seuls petits producteurs. Mais nous sommes très exigeants envers ces plantations, en termes de conditions de travail notamment. "

Reste que des petits producteurs se sont sentis lésés. Ceux d'Amérique Latine ont même créé en 2006 leur propre label, Simbolo, pour se distinguer des grandes plantations. " Avec Simbolo, nous souhaitons que puissent être identifiés les produits venant des petits producteurs, explique Marvin Lopez, de la Coordination des petits producteurs d'Amérique Latine. Chez nous, les plantations sont liées à des multinationales, face auxquelles les petits producteurs ne font pas le poids et peuvent être mis en difficulté. Nous voulons défendre, de l'intérieur, le système et continuer à promouvoir les vraies valeurs du commerce équitables. "

Lors de la certification de grandes entreprises, FLO a aussi pu concéder quelques aménagements aux principes fondateurs du système. La règle voulant que tous les ingrédients d'un produit composé soient équitables a ainsi pu être écornée. " Il peut y avoir des explications temporaires au non-respect immédiat de cette règle, pour laisser aux entreprises le temps d'adapter leur filière d'approvisionnement ", note M. Roturier. " Quel est l'impact pour le Sud ? C'est cette question qui préside à toutes nos décisions, ajoute Jean-Louis Homé, président de FLO. Or parfois, obliger à ce qu'un produit composé soit d'emblée intégralement équitable peut mettre en péril des producteurs locaux, lesquels fournissent déjà tel ou tel élément de ce produit. "

Pour Abaine Yorokamu, président de Fairtrade Africa, fédérant les coopératives de producteurs d'Afrique, le commerce équitable reste " un bon système. Mais il ne doit pas tomber dans un système de masse qui le rapprocherait du commerce traditionnel. L'enjeu est avant tout de rallier le plus de petits producteurs possibles en amont, pour permettre en aval de distribuer des volumes plus importants ".

Avec 1,5 million de producteurs et 3,5 milliards d'euros de chiffres d'affaires dans le monde, le commerce équitable est désormais installé. En France, sa croissance tend cependant à se ralentir : après des années de croissance à deux chiffres, la hausse du chiffre d'affaires est passée à moins de 5 % en 2010. Le contexte économique général peu favorable explique pour une part ce tassement. Face à cela, Max Havelaar France ne relâche pas son travail de sensibilisation, appelant à des actes de " consommation responsable ". Encore faut-il que les consommateurs ne doutent pas de l'impact réel de ces achats sur la vie des petits producteurs du Sud.

Laetitia Van Eeckhout
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire