samedi 14 mai 2011

LIBRAIRIES : SE REINVENTER OU MOURIR

lu sur le site du journal Le Monde des Livres le 13 mai 2011

Librairies : se réinventer ou mourir
La profession n'a d'autre choix que de s'adapter aux nouvelles habitudes de consommation liées au numérique

Pas sûr que les idées de Michel-Edouard Leclerc plaisent à tous les libraires réunis en conclave à Lyon, les 15 et 16 mai, pour les premières rencontres nationales de la profession. Organisée par le Syndicat de la librairie française (SLF), cette manifestation sera consacrée à l'avenir d'un secteur qui recouvre des réalités très différentes. D'un côté, les librairies indépendantes et de l'autre les chaînes : Fnac, Chapitre, Cultura, Virgin ou Leclerc.

Or Michel-Edouard Leclerc, homme-orchestre de sa marque (qui connaît la plus forte progression en 2011, avec l'ouverture de 20 nouvelles enseignes espaces Leclerc), n'y va pas par quatre chemins. Selon lui, " il n'y a aucune raison d'être pessimiste sur l'avenir du livre, car en matière culturelle, l'offre dicte la demande ". Une condition cependant - et c'est l'axe central de développement des espaces Leclerc - : " que le livre soit présent partout ". A cet égard, il trouve " suicidaire que la publicité pour le livre à la télévision soit réduite au sponsoring de quelques émissions littéraires ". Selon lui, les éditeurs se privent ainsi d'un large public.

La deuxième conviction de Michel-Edouard Leclercest que " le livre doit se réinsérer dans l'ensemble des produits culturels ". Pour les librairies, cela veut dire " une approche multicanal, multisupport, multicontenu ". A la fête parisienne organisée au Carrousel du Louvre, du 13 au 15 mai, pour l'ouverture du 200e Espace culturel Leclerc, il y aura de la littérature, mais aussi de la BD, du cinéma, de la musique et des jeux vidéo. " Quand il y a une exposition consacrée par exemple à Kubrick, il faut qu'un libraire puisse présenter les livres, mais aussi les DVD, les musiques de films... ", explique-t-il.

Cet optimisme contraste avec l'état d'esprit de la plupart des libraires indépendants. Jamais, en effet, la profession n'a semblé aussi préoccupée par son avenir, même si son réseau de commercialisation reste remarquable : avec autant de librairies en France que sur l'ensemble du territoire des Etats-Unis et plus dans le Quartier latin que dans tout Manhattan, l'Hexagone dispose actuellement d'une force qui fait pâlir d'envie plus d'un éditeur anglo-saxon. Parmi les 15 000 points qui ont une activité régulière de vente de livres, 2 500 sont les fleurons sur lesquels repose la vitalité du secteur de l'édition.

Soutenues par la loi sur le prix unique du livre, qui a permis une stabilité du marché, ces librairies font désormais face à quatre défis. Au premier chef, elles doivent composer avec une tendance lourde qui touche toutes les générations : aujourd'hui, le temps de lecture est concurrencé par d'autres médias qui utilisent des écrans.

La deuxième évolution est économique. Le mois de février a marqué un nouveau palier dans la baisse de fréquentation des librairies, alors que pour beaucoup de libraires, la crise remonte déjà à 18 mois. Pour Jean-Marie Sevestre, qui dirige la librairie Sauramps, à Montpellier, il faut remonter aux lendemains de la guerre d'Iraq, en 1991, pour trouver un creux semblable, et encore : " A l'époque, souligne-t-il, cela n'avait pas duré aussi longtemps. "

Déjà en compétition avec les grandes surfaces culturelles ou alimentaires, la librairie traditionnelle subit maintenant la montée en flèche de la vente en ligne, un marché dominé par Amazon et la Fnac. Face à cette nouvelle donne, toutes les grandes librairies ont réagi en créant leur propre site. Certaines tirent d'ailleurs leur épingle du jeu, comme Gibert Joseph dans le domaine du livre d'occasion ou La Procure dans celui du livre religieux. Les plus petites librairies peuvent, quant à elles, rejoindre le site 1001librairies.com lancé par le SLF. Mais le retard pris ne sera jamais rattrapé.

D'autant que la dernière évolution est encore à venir. La dématérialisation des livres et leur transformation en fichiers numériques représentent aujourd'hui moins de 1 % du marché de l'édition, mais pourrait atteindre entre 10 % et 15 % du total, dans dix ans. Or la librairie a peu de chances d'être le canal de vente privilégié de ces nouveaux supports.

Dans ces conditions, que faire ? " Il faut apprendre à se réinventer et modifier le concept pour s'adapter aux nouvelles habitudes de consommation ", lance Guillaume Decitre, qui dirige les librairies du même nom situées à Lyon et dans sa région. A chacun sa direction : certains choisiront la spécialisation, d'autres la diversification - par exemple, en développant des rayons papeterie, presse, musique classique, voire jouets à côté des livres jeunesse. D'autres privilégieront la transformation en lieu culturel. Il n'existe de fait pas de recette miracle, mais des expérimentations doivent être envisagées. Ainsi à Paris, dans le quartier latin, depuis mars, le site Cql.com recense les stocks. L'internaute interroge à distance et se rend ensuite dans la librairie détentrice du livre qu'il cherche. En France, les librairies demeurent de formidables commerces de proximité, mais c'est en se regroupant et en lançant des initiatives communes qu'ils ont le plus de chances de s'adapter au changement.

Alain Beuve-Méry
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire