mercredi 24 novembre 2010

UNE PISCINE CLASSEE DEVIENT UNE BOUTIQUE DE LUXE

lu sur le site du journal Le Monde le 24 novembre 2010
Une piscine classée devient une boutique de luxe

LEMONDE | 22.11.10 | 16h35 • Mis à jour le 22.11.10 | 16h35



La vénérable piscine Lutetia, construite en 1935 dans le style Art déco, au 17, rue de Sèvres, dans le 6e arrondissement de Paris, par l'architecte Lucien Béguet - un presque parfait inconnu -, a rouvert ses portes le 18 novembre. Ce n'est plus une piscine. Elle est occupée par le sellier Hermès, à la santé économique insolente, mais qui vit des moments agités depuis l'annonce, fin octobre, de la montée de LVMH à 17,1 % dans le capital, sans y avoir été invité. C'est donc un magasin de 1 500 m2 que les Parisiens découvrent aujourd'hui.

Cherchant à s'ancrer dans la partie la plus huppée de Saint-Germain-des-Prés, Hermès a trouvé dans cette piscine Lutetia le lieu idéal, par sa taille et son emplacement. Elle est presque attenante au palace du même nom, construit en 1910 par les architectes Boileau et Tauzin pour Mme Boucicaut, propriétaire du grand magasin Bon Marché, et qui voulait un bel hôtel pour y loger ses clients. Le Bon Marché avait été édifié pour, dixit Zola, devenir la première "cathédrale de commerce pour un peuple de clients". Il est aujourd'hui propriété de LVMH, ce qui a un goût savoureux : les deux "frères ennemis" que sont Hermès et le groupe de Bernard Arnault se retrouvent côte à côte.

Marcher sur l'eau

La piscine a été classée "Monument historique" dans son intégralité en 2005, près de trente ans après avoir perdu ses eaux chlorées. Ce classement oblige tout rénovateur à conserver la structure de la piscine. Et les travaux doivent être validés par l'architecte des bâtiments de France.

A dire vrai, la fonction aquatique était condamnée. Il lui manquait une sortie de secours, et si, pour le bassin (30 m) et les équipements afférents, une remise aux normes était toujours envisageable (un coût de 6 millions d'euros a été avancé), son classement rendait paradoxalement difficile une telle rénovation : trop de modifications étaient nécessaires.

Le lieu a été efficacement adapté aux vitrines d'Hermès par l'architecte Denis Montel, qui accompagne depuis des années l'aventure de la maison de luxe. Ce dernier fut le collaborateur de Rena Dumas, fondatrice de l'agence RDAI et épouse de Jean-Louis Dumas, patron d'Hermès jusqu'en 2006, décédé un an après sa femme. Le travail de Montel et de RDAI a consisté à incruster l'univers Hermès dans celui du bâtiment classé, un peu à la manière dont Patrick Berger et Vincent Barré avaient transformé le théâtre Le Palace, en 1978, pour en faire le plus brillant lieu de la nuit parisienne des années 1980.

La piscine, on ne la "voit" plus. Le bassin a été recouvert d'un plancher de mosaïque théoriquement indépendant des infrastructures. Si bien qu'on marche symboliquement sur l'eau. Sur ce plancher, quatre grandes huttes de bois tressé aux formes courbes et laissant passer le regard ont été dressées pour plafonner à 9 mètres de haut : trois délimitent des espaces de vente ou d'exposition, la quatrième conduisant du "bassin" vers l'entrée du magasin.

Le 18 novembre, on ne retrouvait pas encore ce travail d'élégance et de haute précision qui caractérise les produits Hermès, ses sièges et ses magasins dans le monde. Le lien ne se fait pas partout d'égale façon entre les éléments de la piscine et les interventions contemporaines. Ainsi, les anciennes galeries où s'alignaient les cabines ne trouvent pas leur utilité - ni pratique ni esthétique. Sans doute la maison se laisse-t-elle une marge de réflexion pour atteindre le niveau d'excellence qui caractérise d'autres sites d'Hermès - celui de Tokyo, agencé par l'architecte Renzo Piano, ou celui de Séoul, dû à Rena Dumas.
Frédéric Edelmann Article paru dans l'édition du 23.11.10

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