lundi 12 avril 2010

NOUS NE SOMMES PAS ARRIVES A SATIETE DE CONSOMMATION

Lu sur le site du journal Les Echos le 12 avril 2010
PHILIPPE HOUZE
« Nous ne sommes pas encore arrivés à satiété de consommation »

[ 12/04/10 ]
Le président du directoire du groupe Galeries Lafayette ne croit pas à la déconsommation. Il constate une hausse moyenne de 4 % de l'activité dans ses magasins au premier trimestre.

Quel bilan tirez-vous pour le groupe Galeries Lafayette de l'année 2009 ?

Le groupe Galeries Lafayette a traversé, comme d'autres en 2009, une année de crise, mais avec des impacts différents. Le chiffre d'affaires des ventes au détail est resté au-dessus des 5 milliards d'euros, en léger retrait de 0,7 %, soit 5,009 milliards. Au total, l'excédent brut d'exploitation (Ebitda) s'établit à 459 millions, soit une baisse de 14,4 %, proche de celle du résultat net courant part du groupe à 189 millions. L'activité de crédit à la consommation - LaSer, Cofinoga -a souffert. La baisse de production des services financiers s'est traduite par une chute du résultat opérationnel courant, à 56 millions d'euros. Les activités de commerce - Galeries Lafayette, BHV, Monoprix et Louis Pion-Royal Quartz -se sont montrées très résilientes, dégageant un RoC stable, à 300 millions d'euros.

Comment avez-vous résisté à la crise ?

Dès la prise de conscience, par une forte mobilisation des équipes ; un rigoureux contrôle des coûts, des stocks, avec à la clef une centaine de millions d'économies qui nous ont permis de financer l'adaptation à la crise ; une augmentation des promotions et des produits d'entrée de gamme dans nos magasins, entraînant une révision à la baisse du prix moyen de l'offre ; enfin, un contrôle sévère de la production des crédits à la consommation pour LaSer. En clair, nous avons fermé le robinet afin d'éviter l'excès de surendettement, puisque nous ne disposons pas du fichier positif que nous espérions voir adopter dans le cadre du projet de loi examiné ces jours-ci au Parlement. Je n'irai pas jusqu'à dire que cette crise aura été salutaire, mais elle nous aura incité à nous remettre en cause, à réviser nos attitudes, en d'autres termes à éviter « l'hubris du succès », décrit par Tim Collins, comme première étape qui a mené nombre d'entreprises à leur perte. Après avoir vécu trois très belles années en 2006, 2007, 2008, on a pu croire que nous allions passer au travers de la crise, rester indemne. Mais ce n'est pas parce qu'on a trouvé des solutions qu'on a « la » solution. J'ai la responsabilité d'un groupe plus que centenaire et je dois continuer à prendre des risques sans mettre en danger l'entreprise.

Concrètement, cela se traduit par quoi ?

Dans un monde qui bouge très vite, nous avons accéléré l'innovation, en mettant l'accent sur une évolution rapide de l'offre et des concepts - Souliers & Chaussures aux Galeries Lafayette, Naturalia chez Monoprix, par exemple -et une écoute plus attentive de nos clients pour devancer leurs attentes. La transformation de nos systèmes de gestion, un chantier entamé bien avant la crise, nous permet d'être plus fort qu'avant au moment où nous entrons dans cette période de convalescence pour l'économie. Les chiffres de nos magasins au premier trimestre en témoignent. Ils indiquent une hausse moyenne de 4 % de l'activité, avec même une croissance à deux chiffres pour notre navire amiral du boulevard Haussmann. Ce n'est pas ce que j'entends de nos concurrents ni, plus largement, de la consommation en France en ce début d'année.

C'est la prime au leader ?

Clairement. Dans cette atonie ambiante, il y a ceux qui font + 5 et ceux qui font - 5 ! Nous devons aussi sans doute ce rebond au fait que nos magasins se situent dans ce qu'il est convenu d'appeler la partie « premium » de l'offre. Notre clientèle s'est serré la ceinture l'an dernier et elle a maintenant envie de se faire plaisir en anticipant la reprise. Les premiers signes tangibles sont apparus dans la deuxième partie du mois de décembre dernier. Après une première quinzaine inquiétante, les ventes ont finalement progressé de 6 % pour nos grands magasins de province, de 10 % à Paris Haussmann, quand Monoprix redevenait positif. La première semaine d'avril a été la seizième dans le vert pour l'enseigne. Signe de notre confiance, on va poursuivre notre programme d'investissement à plus de 150 millions d'euros cette année.

Vous ne croyez donc pas à la déconsommation ?

Non. Même si le « less is mode », nous ne sommes pas encore arrivés à satiété de consommation ! Notre clientèle, plutôt plus citadine et plus avertie que la moyenne, nous le prouve. Alors, au niveau de consommation actuel, certains, c'est vrai, peuvent être blasés. C'est pourquoi nous sommes en permanence à l'écoute de ce qui se passe, afin d'amener les consommateurs vers de nouvelles marques de mode à la fois plus accessibles et plus créatives. Quant aux marques traditionnelles de luxe, si elles ont connu un coup d'arrêt un peu plus fort, elles redémarrent aussi plus vite. Le marché des montres en est un exemple frappant. Depuis un mois et demi, on y enregistre des progressions de l'ordre de 30 % après un creux de moins 20 %. Nous restons cependant vigilants pour 2010. Toutes les prévisions laissent à penser que la sortie de crise se fera par à-coups.

Le nouveau directeur général exécutif de Monoprix a pris ses fonctions début avril. Quelle est sa feuille de route ?

Charles Bouaziz sait qu'il arrive dans une maison originale à plus d'un titre : il s'agit de la seule entreprise de magasins populaires encore opérationnelle ; elle est possédée à parité par deux actionnaires, les groupes Casino et Galeries Lafayette, et dirigée par nous. Le nouveau directeur général exécutif de Monoprix a été recruté sur trois critères très spécifiques : sa capacité à gérer un métier de détails ; sa capacité à anticiper la nature de l'offre que voudront trouver nos clients dans les magasins ; sa capacité à mobiliser l'entreprise et ses quelque 18.000 salariés et d'en faire des ambassadeurs de la marque. C'est un défi qu'il aura à relever, sans compter celui de fidéliser des clients de plus en plus « zappeurs ».

Le géant allemand Metro a affirmé sa volonté de se séparer de ses grands magasins Kaufhof cette année. Serez-vous candidat à la reprise ?

L'annonce de Metro est une nouvelle preuve de l'extrême complexité de ce métier des grands magasins. Nous ne sommes plus très nombreux à savoir le gérer. D'ailleurs Karstadt, son concurrent, est en dépôt de bilan. Beaucoup de ces chaînes sont passées dans les mains de sociétés de capital-investissement qui ont commencé par céder l'immobilier, puis par faire de la génération de cash pour une éventuelle cession. Il n'y a pas que des histoires de succès. Pour notre part, nous trouvons déjà très « challenging » d'être à la pointe de la mode en France pour prétendre l'être dans des pays sociologiquement très différents. Nous avons choisi de plutôt porter notre regard sur des pays en forte croissance, dans le Golfe et en Asie. Pour les Galeries Lafayette, après Dubaï, nous ouvrirons à Casablanca en 2011. Nous sommes également sur le point de concrétiser à Pékin, et sommes en discutions pour une franchise en Indonésie.

A propos d'immobilier, vous vous apprêtez à céder les murs du centre commercial Cap 3000. Qu'en espérez-vous ?

Cap 3000 est l'un des joyaux du parc français de centres commerciaux. J'ai entendu un des candidats qui rêvent de le posséder me dire qu'il fait partie des trois plus beaux sites de centres commerciaux en France. HSBC nous accompagne de façon très professionnelle sur ce dossier que nous espérons conclure dans les prochaines semaines. Quant à sa valeur, je laisse aux experts le soin de l'évaluer. Ce que je sais c'est que les candidats sont nombreux. Je les ai d'ailleurs rencontrés pour comprendre leur philosophie et leur vision de l'opération, qui sera pour moi un des éléments de décision. Nous vendons Cap 3000 car notre métier n'est pas de gérer et de posséder des centres commerciaux. En revanche, dans les grands magasins, la propriété des murs est pratiquement indissociable de l'exploitation. Pour nous permettre de figurer parmi les leaders de la mode, il nous faut pouvoir financer des investissements très importants dans notre parc de magasins historiques. C'est le sens de la vente de Cap 3000. Nous possédons 1,2 million de mètres carrés qui constituent un patrimoine immobilier exceptionnel que gère et valorise notre filiale Citynove. Sur ces mètres carrés très développés, nous choisissons de reprendre en main la gestion des marques et de les professionnaliser.

Avez-vous bon espoir de voir le boulevard Haussmann classé en zone touristique afin de pouvoir ouvrir le dimanche ?

Je ne peux pas imaginer que le maire de Paris ne veuille pas offrir un meilleur service aux nombreux touristes étrangers. S'ils font de cette ville phare l'une des toutes premières destinations touristiques dans le monde, on sait aussi qu'ils sont amenés à écourter leur séjour faute de pouvoir faire leurs achats le dimanche. Or le boulevard Haussmann est, après les Champs-Elysées, le deuxième lieu de passage de touristes dans la capitale. S'il y a une zone à classer comme touristique, c'est bien celle-ci. Le Comité Haussmann a bien compris les conditions de ce classement : nous nous engageons sur la création de 1.000 emplois supplémentaires payés double sur une base de volontariat pour 52 dimanches. Nous avons compris le problème des riverains, avec lesquels nous sommes prêts à étudier toutes les dispositions pour éviter des cohues intempestives. Une période d'ouverture réduite de 11 heures à 19 heures contribuerait sans doute à une fluidité de la circulation le samedi en déportant une partie de sa clientèle. Pourquoi, aussi, ne pas envisager une mise en voie piétonnière pour cette partie du boulevard ? En plus des 5 dimanches traditionnels actuels, pourquoi enfin ne pas planifier, en fonction de l'activité touristique, une ouverture de 10 dimanches de juillet à septembre ? On ne peut pas rester sans agir dans la compétition mondiale des capitales.

Craignez-vous des tensions sociales ?

J'ai le sentiment que nos partenaires sociaux ont une meilleure compréhension de la mutation de nos métiers et des efforts que nous engageons pour gagner des parts de marché dans une concurrence exacerbée. Nous venons de signer chez Monoprix un accord avec l'ensemble des organisations syndicales sur la participation et l'intéressement, et, aux Galeries Lafayette et BHV, un accord sur l'emploi des seniors, la prévention du stress et l'emploi des travailleurs handicapés.
PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE BOUDET, Les Echos

Son parcours
Philippe Houzé a commencé sa carrière en 1969 chez Monoprix, dont il a été nommé directeur général en 1982. Il en est président-directeur général depuis 1994. Il a été nommé le 29 mai 2005, président du directoire du groupe Galeries Lafayette, le leader français des grands magasins et actionnaire à 50 % de Monoprix.
Membre du Comité 21 (association pour le développement durable) et auteur de la « La vie s'invente en ville », Philippe Houzé est officier de la Légion d'honneur.
Son actualité
Le groupe de grands magasins, de « citymarché » (Monoprix) et de crédit à la consommation et services financiers (via LaSer, sa filiale à 50 %) a vu son résultat baisser de près de 14 % en 2009, avec des ventes quasi stables. Il enregistre en ce début d'année une hausse de son chiffre d'affaires, surtout sensible sous son enseigne Galeries Lafayette. La vente des murs de son centre Cap 3000 donnera une indication de l'état de l'immobilier commercial.

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