vendredi 7 mai 2010

LE BOULEVARD HAUSSMANN RAYONNE

Lu sur le site du journal Challenges le 7 mai 2010
http://www.challenges.fr/magazine/strategie/0211-030622/le-boulevard-haussmann-rayonne.html
Le boulevard Haussmann rayonne
Plus grand centre commercial d'Europe à ciel ouvert, le quartier parisien est désormais préféré aux Champs-Elysées par les plus grandes marques. Mais il ne compte pas s 'arrêter là...


De grands panneaux emprisonnent la façade. Seul le bruit des perceuses est perceptible de la rue. Voilà sans doute le chantier le mieux protégé de la capitale. C'est derrière ces palissades, au 12-14, rue Halévy, dans l'immeuble qui accueillait jadis la Banque Sudameris, que devrait ouvrir à la mi-juin, sur 1 200 mètres carrés, le deuxième Apple Store parisien. Après le musée du Louvre, Apple a donc choisi le quartier Haussmann. « Il y avait des emplacements libres sur les Champs-Elysées, mais ils sont venus chez nous », se réjouit Jacques Bravo, maire du IXe arrondissement, qui voit là une preuve supplémentaire de l'attractivité du secteur Haussmann-Saint-Lazare.
Le quartier n'a jamais cessé de se transformer. Limité pendant des décennies au boulevard et à ses grands magasins, Haussmann s'étend désormais bien au-delà. Marks & Spencer (aujourd'hui Lafayette Maison) ouvre la brèche dans les années 1970 en s'installant sur la rive sud du boulevard. C&A arrive en 1997. En face, la rénovation du passage du Havre repousse plus au nord les limites commerciales du quartier. Mais c'est en 2000, avec l'arrivée des magasins H&M et Zara, que la modernisation est amorcée. Comment ce quartier a-t-il pu s'imposer comme le premier centre commercial d'Europe à ciel ouvert, au point que certaines grandes marques internationales ont privilégié leur installation à Haussmann à celle sur les Champs-Elysées ? Apple, H&M, l'enseigne japonaise Uniqlo, et bientôt l'espagnol Desigual ou encore Hackett, ont fait le choix du IXe arrondissement.
Les chiffres sont formels. Malgré le prestige de la plus belle avenue du monde, les trottoirs d'Haussmann sont plus fréquentés que ceux des Champs. Le comité Haussmann, qui regroupe les commerçants, évalue à 120 millions le nombre de passages annuels, contre juste 1 10 millions pour sa rivale du VIIIe. Une journée normale voit passer 400 000 badauds. « Lors des soldes, ce chiffre peut atteindre le million de visiteurs par jour », s'inquiéterait presque l'édile du IXe. Les distributeurs se frottent les mains. Uniqlo avoue qu'il a battu son record de chiffre d'affaires au mètre carré avec son flagship parisien. Chaque année, ce sont près de 3 milliards d'euros qui rentrent dans les caisses de ces commerçants concentrés sur quelques dizaines d'hectares. A eux seuls, les Galeries Lafayette et le Printemps engrangent la moitié de la recette.

Offre de transports étoffée
Un premier facteur explique la montée en puissance de Haussmann : son accessibilité. Entre Saint-Lazare, deuxième gare parisienne avec 450 000 voyageurs quotidiens, deux lignes de RER (A et E), sept lignes de métro (3, 7, 8, 9, 12, 13 et 14), dix-sept de bus, plusieurs stations de taxis et de Vélib' et des milliers de places de parking, le quartier est largement équipé. Mais, preuve de sa dépendance au transport, quand la machine se grippe, les ventes plongent. Le 11 décembre 2009, à quelques semaines de Noël, alors que la grève du RER A paralyse la ligne la plus fréquentée du monde, Philippe Houzé, président du directoire du groupe Galeries Lafayette, appelle son homologue de la RATP. Ensemble, ils conviennent de prolonger le service minimum, en vigueur pendant la semaine, le week-end. Une opération bricolée en quelques heures, mais qui permettra d'éviter de justesse la catastrophe.
Aussi dense soit-elle, l'offre de transport devrait s'étoffer. « La mise en service du CDG Express en 201 6, entre Roissy et la gare de l'Est, développera commercialement l'axe de la rue de Châteaudun, située à moins de 1 kilomètre de la gare », prédit Paul Delaoutre, le directeur général des Galeries. A venir également, les prolongements du RER E, des lignes de métro 12, 13 et 14. « La population nouvellement desservie devrait croître de 435 000 personnes », a calculé Denis Alalouf, directeur d'exploitation au groupe Ségécé, l'opérateur commercial de la gare Saint-Lazare, qui doit ouvrir début 2012 une galerie de 80 boutiques.

Rapport qualité-prix stabilisé
Mais s'il y a autant de monde dans ce quartier, c'est aussi parce que l'offre commerciale y est encore variée. A la différence des Champs-Elysées (lire encadré page suivante), « le quartier Haussmann ne s'est pas concentré uniquement sur le textile », rappelle Christian Dubois, directeur général de Cushman & Wakefield, conseil en immobilier d'entreprise. Exception faite de l'alimentaire, qui fait cruellement défaut, tout l'éventail du commerce est représenté dans cette zone : du haut de gamme avec les rayons luxe des grands magasins en passant par le chic accessible (Benetton, Hackett, Nespresso, Hugo Boss, Guess), jusqu'aux enseignes sensiblement plus populaires, comme Uniqlo, Zara, H&M, Promod, C&A et Surcouf. La raison ? Des loyers encore raisonnables.
D'après le spécialiste immobilier Cushman & Wakefield, les valeurs locatives dans le quartier Haussmann s'échelonnent entre 460 et 5 000 euros le mètre carré à l'année. Les zones les plus chères sont celles qui entourent les grands magasins. Boulevard des Capucines, la moyenne est de l'ordre de 2 500 euros, avec des pics à environ 4 200 euros pour les boutiques Zara, Lancel ou Mango. La rue Scribe, en plein coeur du quartier, offre un excellent rapport qualité-prix. Le japonais Uniqlo a pu s'offrir 2 164 mètres carrés au prix de 2 200 euros le mètre. En comparaison, la moyenne sur les Champs-Elysées est de 6 000 euros pour le trottoir impair et d'environ 8 500 euros côté pair. « Après avoir fortement augmenté entre 2000 et 2006, les prix sont stables sur Haussmann et ne devraient pas augmenter, analyse Thierry Bonniol directeur commerce à l'agence BNP Paribas Real Estate. Le quartier bénéficie d'un effet report des Champs-Elysées, empêtrés dans la spéculation locative. »

Ambitieux comité
Fort de son succès, Haussmann réclame maintenant les mêmes prérogatives que les Champs-Elysées. Sécurité, mobiliers urbains, signalétiques, animations commerciales, nettoyage, les commerçants veulent aller plus loin. « Il faut que le consommateur comprenne visuellement qu'il n'est pas dans n'importe quel quartier, mais dans le plus grand centre commercial d'Europe », relève Jean-Christophe Bretxa, directeur général de Redevco, qui propose un changement de gouvernance du comité Haussmann. « Il faut transformer cette association sans moyens en une entreprise capable de lever des fonds pour cofinancer le réaménagement du quartier », poursuit-il. Son modèle ? New West End Company, la société qui défend les intérêts d'Oxford Street, Bond Street et Regent Street à Londres. Avec un budget annuel d'environ 14 millions d'euros, contre quelques centaines de milliers pour le comité Haussmann, New West End a notamment cofinancé l'installation de caméras de surveillance et participé à la rénovation du mobilier urbain du quartier. « Je ne suis pas contre le partenariat public-privé », lui répond Lyne Cohen-Solal, maire adjointe de Paris en charge du commerce.
Mais pour l'heure, le comité Haussmann, présidé par Paul Delaoutre, préfère se focaliser sur le seul dossier prioritaire à ses yeux : l'ouverture dominicale, qui est autorisée depuis le 1er août sur les Champs-Elysées. L'objectif est de parvenir à classer le secteur en zone touristique. A la clé, les grands magasins espèrent un chiffre d'affaires en hausse d'au moins 10 %. « En Italie, le dimanche représente le deuxième jour de recettes pour les magasins de La Rinascente », avance Paolo De Cesare, le patron du groupe Printemps.

Classement à requalifier
Prouver que le quartier est touristique n'est pas compliqué : 31 % du chiffre d'affaires détaxé de la capitale y est réalisé, contre seulement 20 % sur les Champs-Elysées et 13 % pour le Faubourg-Saint-Honoré. Et « 43 millions de touristes fréquentent le secteur chaque année, c'est cinq fois plus que le Louvre », ajoute Paul Delaoutre, le directeur général des Galeries. « La fermeture des magasins le dimanche n'a jusqu'à présent pas empêché Paris d'être la première ville touristique du monde », réplique Lyne Cohen-Solal, pas encore convaincue. Pourtant, le comité ne manque pas d'arguments : il promet la création de 600 emplois directs, 1 000 indirects, le paiement double des salariés assorti d'un jour de récupération, et aussi l'arrêt des livraisons le dimanche ainsi qu'une ouverture restreinte de 11 à 19 heures. Pour la tranquillité des riverains, chère à la mairie de Paris, la direction des Galeries va même jusqu'à proposer une « piétonnisation » du boulevard. « Les grands magasins sont très motivés, le problème, c'est qu'ils n'ont pas su convaincre les autres commerçants, ni leurs syndicats », estime Jacques Bravo. Le compte à rebours est lancé. Le classement de Haussmann en zone touristique devrait être à l'ordre du jour du conseil de Paris de juin. C'est le dernier obstacle à passer pour Paul Delaoutre. Il a déjà su convaincre les représentants CGC, CFTC et CFDT des Galeries Lafayette en province, qui acceptent depuis début avril de travailler le dimanche. Un argument de taille pour emporter l'adhésion des syndicalistes parisiens. La messe n'est pas dite.



Les Champs-Elysées, temple du textile

Levi 's devra encore attendre avant d'ouvrir sa boutique au 76, avenue des Champs Elysées. Le 1er avril, la mairie de Paris a mis son veto à l'installation de la marque de jeans sur la plus belle avenue du monde. « Nous nous opposerons systématiquement à l'arrivée de nouvelles enseignes textiles sur les Champs », prévient Lyne Cohen-Solal, adjointe au commerce, consciente des limites de son pouvoir. A l'instar de H&M, Levi's va entamer un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial, « qui n'a jamais refusé une candidature », poursuit l'adjointe.
En attendant, les marques de textile arrivent en force, profitant de la fermeture à la chaîne de restaurants comme Délice Café ou Planet Hollywood. H&M doit ouvrir à l'automne. En 2011, Abercrombie & Fitch, Banana Republic, Tommy Hilfiger, Massimo Dutti, Eden Shoes sont attendus. A 10 000 euros le mètre carré de loyer pour les arrivants, il n'y a plus guère que les grandes marques à fortes marges qui peuvent s'offrir ces emplacements. « Les enseignes textiles peuvent consacrer jusqu'à 20 % de leur chiffre d'affaires au loyer d'un flagship, contre 5 % pour un restaurant », note Thierry Bonniol, à BNP Paribas.

Thiébault Dromard

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