dimanche 2 mai 2010

LE QUARTIER DE GHINZA A TOKYO, SYMBOLE DE LA DESAFFECTION DES JAPONAIS POUR LE LUXE

Lu sur le site du journal Le Monde le 2 mai 2010
http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/04/30/le-quartier-de-ginza-a-tokyo-symbole-de-la-desaffection-des-japonais-pour-le-luxe_1345151_3234.html
Le quartier de Ginza à Tokyo, symbole de la désaffection des Japonais pour le luxe
LEMONDE | 30.04.10 | 16h13 • Mis à jour le 30.04.10 | 16h14


Les artères de Ginza, l'ancien et fameux quartier commerçant de Tokyo, vibrent plus que jamais au rythme des caprices des consommateurs japonais. Un temps vitrine mondiale du luxe, il cède aujourd'hui aux assauts des géants de l'habillement bon marché et de ses acteurs : Gap, Zara ou Uniqlo...

Dernier avatar de cette nouvelle donne, l'ouverture, jeudi 29 avril, du deuxième magasin japonais du géant américain de l'habillement bon marché Forever 21. En ce jour férié baigné d'un soleil printanier, il y avait foule pour l'inauguration des cinq étages de son point de vente baptisé "Forever XXI". L'excitation et l'affluence n'étaient pas sans rappeler celles de l'ouverture en 2004, également à Ginza, du grand magasin Chanel.

Six années séparent ces deux événements, un temps qui a vu le quartier, jusqu'alors temple du luxe, devenir un bastion de la "fast fashion", ces vêtements ayant une qualité acceptable et des prix bas pour permettre une consommation à fréquence très élevée.

L'évolution a commencé en 2007 et s'est accélérée après l'éclatement de la crise en 2008, favorisée par une érosion des loyers de près de 20 % et par un changement de comportement des consommateurs, surtout les jeunes. Victimes de la baisse régulière des revenus, ils perçoivent la mode de manière différente de leurs aînés. "La nouvelle génération aime zapper, changer souvent, explique un acteur de ce marché, sans pour autant vouloir se ruiner." Plus généralement, "les consommateurs japonais étant plus mûrs, leur confiance dans les grandes marques s'amenuise", estimait récemment Atsuro Yamada, le président de la société de consultants Gramco, dans le quotidien Nikkei.

Du coup, l'Archipel, autrefois pays de cocagne pour les géants du luxe, vit à l'heure d'une certaine frugalité. Une enquête réalisée par l'institut Nikkei révèle qu'en 2008, seuls 30 % des Japonais s'intéressaient aux marques de luxe, contre plus de 50 % en 2004.

En 2009, ces marques ont enregistré dans l'Archipel jusqu'à 20 % de baisse des ventes. Certaines, comme l'italien Versace, y ont même cessé leurs activités. L'année 2010 devrait confirmer ce déclin, l'agence américaine Bain & Company attendant des ventes du luxe en repli de 3 % au Japon, alors que, dans le monde, elles devraient croître de 4 %.

Le quartier de Ginza en subit les conséquences directes. Louis Vuitton a renoncé à son projet d'y ouvrir un nouveau magasin amiral. Sur le site qu'avait retenu le groupe français, c'est finalement Gap qui ouvrira une boutique. Le japonais Uniqlo, lui, a récupéré des locaux abandonnés par l'américain Brooks Brothers, et Forever 21 a pris la place laissée par l'italien Gucci.

Pour Ginza, c'est une nouvelle étape. Ce quartier - où dès l'époque Edo (1603-1868), l'on battait de la monnaie d'argent et l'on négociait ferme - a été modernisé en 1872 après un violent incendie. Il est devenu une importante base du commerce, abritant notamment le grand magasin Wako, cher à la famille impériale. Là ont vu le jour de grandes sociétés, comme le groupe de cosmétiques Shiseido. Dans les années 1970-1980, le quartier a attiré les géants mondiaux du luxe. Et c'est le long de ses larges avenues Chuo et Harumi, livrées aux piétons les week-ends, que s'érigent, dès la fin des années 1990, les premiers magasins géants dédiés à une marque.

On y trouve également de vieilles enseignes, comme le marchand de papier japonais Kyukyodo, qui ont su résister à l'explosion du prix du mètre carré et aux pressions exercées pour céder leur fond. Kunoya, maison créée la huitième année de l'ère Tenpo (1837), continue de vendre des articles de la mode d'un autre temps : des éventails de papier et de bambou laqué, des objets raffinés et des tissus discrètement colorés. Le petit magasin offre un contraste saisissant avec son voisin Abercombie & Fitch, où le client est accueilli dans une atmosphère de club par un éphèbe au torse nu et musclé.
Philippe Mesmer
Article paru dans l'édition du 02.05.10

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