lundi 25 octobre 2010

QUAND LES CONSOMMATEURS FONT PLIER LES MARQUES

lu sur le site du journal Les Echos le 25 octobre 2010


Ci-dessus : le logo que vous ne verrez jamais. Cédant à la pression des internautes, farouchement opposés au nouveau graphisme, la marque américaine de vêtements a annoncé ce mois-ci qu'elle conservait finalement l'identité visuelle à laquelle le public est habitué depuis vingt ans

Quand les consommateurs font plier les marques
Ecrit par
Clotilde BRIARD

Une semaine. C'est le temps record qu'il aura fallu à Gap pour renoncer à son nouveau logo, sous la pression des internautes ayant émis un avis défavorable sur Facebook. Si la marque américaine de vêtements a annoncé le 11 octobre qu'elle gardait finalement l'identité visuelle que le public connaît depuis vingt ans, avec son nom en blanc dans un carré bleu, c'est que la nouvelle version a provoqué une levée de boucliers sur la Toile. Avec de virulentes critiques contre le choix d'un caractère Helvetica des plus classiques associé à un carré réduit à la portion congrue et présenté façon exposant.

La décision a été prise rapidement, mais elle n'en reste pas moins déstabilisante pour la griffe. « Refaire son identité visuelle, c'est l'acte de pouvoir ultime d'une marque. Car il s'agit de l'élément le plus intangible la concernant, alors que ses offres de produits ou services sont, par définition, fluctuantes. C'est une façon pour elle de réaffirmer sa stratégie. Le rejet d'un logo par les clients représente donc une contestation forte », souligne Christophe Pradère, directeur général de l'agence BETC Design.
Tirer les leçons

Pour justifier son retrait, Gap précise que ses consommateurs « sont toujours passés en premier ». La marque estime avoir tiré la leçon de l'épisode, reconnaissant ne pas avoir suffisamment noué le dialogue avec la communauté des internautes. Et promet de s'y prendre différemment lorsqu'elle planchera à nouveau sur une évolution de son logo.

Dans un monde où le consommateur n'en finit plus d'affirmer son pouvoir, Gap aurait-il pu faire autrement que reculer ? Christophe Fillâtre, président de l'agence de design Carré Noir, juge qu'il pouvait exister d'autres options. « Au lieu de céder à la peur, cela aurait pu être une opportunité pour Gap d'expliquer à son public : voilà ce que nous voulons dire à travers notre identité visuelle et la direction que nous souhaitons prendre », indique-t-il.

Christophe Pradère considère, pour sa part, qu'il était logique pour l'enseigne de battre en retraite. Même si c'est un aveu de faiblesse. « La population que la marque cible en priorité, la génération Y, est très connectée, dure à capter et à fidéliser. C'est une clientèle impatiente et sensible à la cocréation avec les marques. Le risque d'une forme de déréférencement de sa part était réel », estime-t-il.

Une chose est sûre, si le Web accélère les phénomènes, les réactions vives des consommateurs face aux changements de tous ordres programmés par les marques ne datent pas d'hier. Le cas du New Coke, resté dans les annales du marketing, s'est produit avant l'ère Internet, en 1985. La firme d'Atlanta avait lancé une nouvelle recette contre laquelle ses fans ont protesté tellement fort qu'elle est revenue à la version classique.
Internet, caisse de résonance

Plus récemment, en 2007, Nestlé a fait marche arrière pour sa marque de chocolats Cailler. Après un an, il a abandonné une nouvelle présentation, qui, notamment, ne semblait pas assez « écologiquement correcte » aux consommateurs suisses. Et, en 2009, Tropicana a très vite retiré son nouveau packaging aux Etats-Unis (lire ci-dessous).

Quant à Facebook lui-même, il n'est pas à l'abri de retours de bâton. En février 2009, il a fait face à des menaces de fermeture de compte provoquées par son intention de modifier les conditions d'utilisation et de conserver à vie les données personnelles de ses membres. Résultat : il a dû rétablir le cadre précédent et a lancé une consultation auprès de ses utilisateurs.

Avec la caisse de résonance que représente la Toile, les marques vont devoir en prendre leur parti : leurs choix risquent de plus en plus d'être contestés sur la place publique. Une forme de test consommateurs grandeur nature, qui ne serait ni confidentiel ni maîtrisé par les sociétés. Mais, au final, les entreprises ne subissent pas forcément que des effets négatifs. En prouvant à leurs consommateurs qu'elles prennent en compte leur avis, elles compensent ce que le grand public interprète comme une erreur par le renforcement du sentiment de proximité et d'écoute. Point positif pour Gap, l'histoire a remis la marque sur le devant de la scène au niveau mondial. Et a montré qu'elle avait une vraie communauté de fans.
Trouver le bon dosage

L'important, désormais, va être de trouver la juste place laissée aux consommateurs. Et de bien mesurer la capacité d'une marque à affirmer ses positions. C'est ce qu'a fait Steve Jobs le mois dernier à propos de la nouvelle identité visuelle d'iTunes, elle aussi contestée par certains internautes qui la jugeaient un peu pauvre. A une critique sur la laideur du logo et les difficultés d'identification qu'il pouvait engendrer, le patron d'Apple a simplement répondu : « Nous sommes en désaccord. Envoyé de mon iPhone. »

L'écueil, en effet, est d'écouter trop attentivement la voix d'une minorité. « Le danger pour les marques, c'est que l'exemple de Gap fasse jurisprudence en matière d'identité visuelle. Il existe de vrais risques de dérives », craint Christophe Fillâtre. Il reste donc aux entreprises à trouver le bon dosage. Savoir laisser la parole aux consommateurs sans se priver d'affirmer leurs choix.
CLOTILDE BRIARD, Les Echos

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